Eras hadas deth carric Traucat
Le contexte : Nous sommes à Antras, au mois de juillet, en haut du village. La route jusqu’à chez Yvette est raide, tellement qu’elle ferait palir le meilleur grimpeur du Tour de France. J’arrive chez elle essouflé. C’est la deuxième fois que je viens la voir et elle a une bonne nouvelle, aujourd’hui André devrait passer car, en sa présence, il a accepté de raconter l’histoire des fées du Carric Traucat. J’étais allé le voir deux jours auparavant, plein d’entrain mais avait essuyé un refus. J’étais déçu. Même si je ne l’avais jamais vu, j’avais tout de même reconnu sa voix. Il avait en effet été enregistré par Jean Séguy le 10 août 1964 récitant la «Parabole de l’enfant prodigue» pour l’Atlas Linguistique de Gascogne, en gascon d’Antras. Je lui avais expliqué que je venais le faire parler en patois et que je l’avais entendu sur internet, mais cela l’avait plus perturbé qu’autre chose. Il faut toujours choisir ses mots. Il était aujourd’hui vieux et avait oublié. Il m’avait donc dit non.
Mais deux jours plus tard, voilà qu’il arrive chez Yvette d’un pas lent dans cette côte à pic, comme surgi de 1964. Sans plus attendre, il me raconte trois contes de fées avec sérieux, puis repart. Je ne l’ai jamais revu depuis.
L’extrait : Essayons de résumer l’histoire clairement car elle est ici racontée par bribes. Une fée demeure dans une grotte au dessus du village d’Antras, c’est le Carric Traucat. Elle a un enfant (un macipon) qu’elle perd un jour. Ceux de la maison «de Telèu» le recueillent et le nourissent. Mais au bout d’un moment, l’homme qui avait soigné l’enfant meurt. La fée appelle son petit du haut de la montagne : «Pinquirinèu ! Mèu, mèu» et lui, lui répond «Mamà mia, a on èu ?» (Ma mère, où êtes-vous ?). La fée dit donc à l’enfant lorsqu’elle le retrouve que l’homme qui l’a soigné l’a bien soigné, mais que si l’enfant lui avait donné du céleri du jardin (àbit deth òrt), l’homme s’en serait tiré (eth òme que seria estòrt). Aussi abracadabrantesque que cela puisse paraître, c’est l’histoire que André me raconta en ce mois d’août 2013.
On peut entendre Yvette à côté qui encourage André car il sait raconter les histoires (Conda l’ac ! : raconte le lui !). A travers sa voix, nous percevons celle de celui qui lui a appris ce conte car son ton est solennel et sa prosodie, calquée sur les intonations des anciens. Son vocabulaire est très soutenu et par la suite de l’entretien, j’ai pu comprendre avec quel soin, Jean Séguy choisissait ses «sujets».
Il est rare dans notre monde matérialiste d’entendre parler de fées et de légendes, sans ironie. Rare de pouvoir écouter quelqu’un qui se fait le porte-voix des devanciers à l’heure où tout est écrit, consigné, archivé et rangé dans un tiroir.
Renaud Lassalle